jueves, 24 de julio de 2008

Réflexion sur Giono


Assis au pied d’un arbre, dans les ombres d’un chêne centenaire, lire Giono est comme une vague de sens qui vous submerge et vous ravit. Les fleurs font des bruits, le ciel a un parfum, les orages sont des visions. Tout est vivant et tout réclame son existence : les saisons, le rire malicieux des ruisseaux, les blés et les nuages, les étoiles et les plantes. La nature est un spectacle aux mille artistes, et l’homme est l’un d’entre eux. Dans l’ordre infini de l’univers la nature est d’abord, l’homme pense ensuite. Chez Giono, les hommes contemplent les réalités magnifiques et dramatiques, et ne s’en sentent pas maîtres. Sans se l’avouer vraiment, ils connaissent leurs limites et savent aussi qu’elles leurs sont dictées par une puissance supérieure, un espace qui lui, probablement, ne connaît pas de bornes. L’homme accepte d’être limité au cœur de l’infini. Il sait qu’il est comme les fourmis, les girafes ou les baleines, une digne société qui prend part à une réalité dont la compréhension globale lui est inaccessible. Et pourtant, malgré la pleine conscience qu’ont les personnages de Giono de l’absurde camusien, ils ne sont ni suicidaires ni révoltés.

Le premier homme, devant l’incertitude de sa vie au milieu d’une nature dont il ne pouvait contrôler les actes, dut inventer le premier dieu. Et il lui fallut le créer à son image pour pouvoir en faire le coupable de ses peines. Reconnaissons-le, il est bien plus facile de se positionner en victimes d’une force invisible que d’affronter une puissance visible, immuable et invincible. Sans doute aussi est-il plus facile d’être la victime de l’injustice d’un dieu capricieux que d’être le jouet d’une nature qui n’est ni juste ni injuste, ni généreuse ni mauvaise, mais qui répond à des ordres que l’homme ne peut donner. L’homme n’a aucune emprise sur la nature comme la terre n’a aucune emprise sur l’univers, elle n’en est qu’une minuscule composante, une particule de matière. Mais à l’inverse l’homme fait agir les dieux comme l’artiste guide sa propre création. Car dieu est l’œuvre des hommes. Cependant, l’existence d’un dieu ne fait pas disparaître l’ordre naturel des choses -tout au plus l’en rend-il coupable- et l’homme en définitive reste ce roseau – ce brin d’herbe luisant de Giono- balancé entre l’honnête intransigeance de la terre et les tourments aléatoires des dieux qu’il a lui-même créés. Enfin, il nous faut également dire que les dieux, en général et en particuliers, ont permis à l’homme au cours des siècles de se délivrer du poids de certaines responsabilités. Au contraire des dieux grecs ou du dieu des chrétiens ou de tout autre divinité, la nature est loyale et pour cette même raison irréprochable. Et c’est précisément cela qui pousse l’homme vers dieu. Les dieux sont supérieurs aux hommes et n’ont d’autre prétention que d’être adorés par des êtres agenouillés, vaincus. La nature en revanche donne à l’homme sa vraie mesure. Elle le place au cœur de la terre et le laisse aller à sa guise, s’organiser en société, et tenter d’être heureux. Au sein de la nature l’homme est l’unique responsable de ses actes ; au sein d’une religion dieu est aux hommes ce que Simon de Syrène fut au Christ. C’est pourquoi l’homme, voyant le divin placé entre ses mains, le rejette aussitôt vers le ciel et décide d’être malheureux à cause de dieu plutôt que d’être dieu lui-même.
Si les personnages de Giono ne sont ni suicidaires ni révoltés, c’est parce qu’ils ont choisi de vivre et de mourir dans la nature plutôt que d’espérer vainement, les yeux rivés sur l’Olympe, une impossible salvation. Des hommes comme cela il en a toujours existé, fasse la nature qu’il en existe toujours !

Que ma joie demeure, récit prophétique à ses heures, proposition pour un hypothétique avenir de l’absurdité humaine, a souvent été considéré comme un roman régionaliste. Certes Manosque, ses collines et ses vallons, sont un décor particulier et charmant ; certes il y a d’autres endroits charmants dans le monde. Tous ceux qui ne veulent voir dans la littérature régionaliste qu’une simple technique particulariste, un égocentrisme littéraire, ou pire, un impressionisme ignorant, n’ont de toute évidence pas compris le message fondamental véhiculé par ce genre d’ouvrage. Les ouvrages dits régionalistes s’opposent aux ouvrages grandiloquents, aux textes philosophiques, raisonnés, argumentés et autres œuvres de la raison. Ils s’opposent aussi à tout un pan de la littérature romanesque du XIXe siècle. En réalité le régionalisme -et il serait peut-être bon d’essayer de lui donner aujourd’hui un nouveau souffle- n’a d’autre but que de considérer l’homme dans son environnement concret et de tirer de cet état naturel toutes les conséquences universelles possibles. L’objectif de la littérature régionaliste est le même que celui de la philosophie : comprendre l’homme, faire que l’homme se comprenne lui-même. Que l’on parte d’une analyse scientifique du comportement ou de la description mythique d’une journée de moisson, quelle différence cela fait-il ?
Chez Giono tout se mélange, la nature, l’esprit, la prière, le cœur, la poésie, l’homme enfin, et il n’est pas dit qu’il y ait moins de réponses ici qu’ailleurs.

Juillet 2008

1 comentario:

guapeta dijo...

Très interessante analyse de la place de l homme dans la nature et de la nature dans l univers et celle qui les lient aux dieux en particulier dans le cas de GIONO.
mériterait un approfondissement, notamment par la lecture/commentaire de"batailles dans la montagne" et "le chant du monde" qui sont intimement liés.
bonne conclusion sur le roman regionaliste à vocation universaliste
Tu padre