domingo, 23 de noviembre de 2008

Au fond des océans


Il semble, après Thésée, Astyage, Alexandre
Que l’homme trop grandi ne peut plus que descendre…

La légende des siècle, XII, v. 277-278.
Victor Hugo

Prologue :

Au fond des océans j’aimerais parfois
m’asseoir un instant et écouter les mots
que chantent dans le silence des eaux
le poisson-poète et le requin-roi…

En grand silence chacun fait de sa rime
et de ses vers, armes, armure et fanal ;
mais si le roi exulte le glorieux labeur
de ses vassaux bien-aimés, c’est le rival
que dénonce pour ses frères le poète !
Et leurs chants à l’heure du duel fatal
S’affronteront dans les abîmes profonds…
Ah ! Les rimes aiguisées de l’hérésiarque
chasseront-elles les mensonges du monarque ?


I
Cependant, l’événement fait tout l’intérêt
des Mécènes qui, au contraire des Muses
qui donnent la vie aux sensuelles images
poétiques gratuitement, eux abusent
afin de découvrir qui sera le vainqueur,
qui l’objet innocent de leurs ruses,
qui le défenseur de leurs richesses.

Chacun au fond de son trou, les poètes
par d’étranges poissons, aux accents étranges
sont visités. – « Et quoi, disaient-ils, avoue donc
que ce n’est pas grâce à toi que le peuple mange,
que prétends-tu obtenir en combattant ?
Ce n’est jamais dans l’art mais bien dans la fange
que l’on fait les troupeaux et remplit les granges. »
Le poète sourit et regarda les trois hommes, comme absent,
puis il baissa à nouveau son regard vers sa page en les oubliant.

« Tu sais pourtant bien, reprirent-ils, que la vie,
la paix, ne dépendent pas de jolies rimes
mais de la poigne de fer et des doigts d’argent
qui tour à tour, des bas-fonds jusqu’à la cime
distribue l’or ou le retire ; et enfin dit
qui va au paradis et qui à l’abîme !
qui est subversif, qui artiste sublime !
Et le poète souriant toujours rétorqua que c’est en effet à l’abîme
que vont les philosophies trop riches en maximes !

« Allons, regarde-nous, nous qui nourrissons
les grandes entreprises par de sonnantes
et trébuchantes énergies, fais comme nous
et laisse la poésie contre une décente
activité. N’agite pas le peuple, fou !
il te suivrait ! Car une haine latente,
cruelle et lente nous tuerait tous, toi et nous. »
Le poète ainsi tenté par le troupeau de le suivre
devint songeur et ouvrit un livre.

« Le temps nous tuera de toutes façons, dit-il.
Et si je fais ce que de moi vous désirez
alors, je cesse d’être seul, vrai, unique
et me divise, devenant toujours plus laid
toujours moins fort, toujours moins vrai ;
et je geindrais encore en m’éteignant, soufflé
par le vent de la vanité et de la honte. »

Et les banquiers de l’art se mirent à rire.
« Tout ce que tu veux ! Avant qu’elle soit finie
on ne dit pas si la guerre est respectable :
un vrai poète ou une fausse prophétie
nous sont égal : l’or n’a pas d’idéologie !
Nous t’aiderons donc ; soutien, refuge ou ami,
nous serons tes écuyers dans la bataille. »
Et le poète trop absorbé à aiguiser ses mots
ne s’attarda pas à les traiter de sots.

Puis, nageant en hâte jusque chez l’ennemi,
ils lui tinrent ce discours de richesses affamé :
« Ô bon roi ! La subversion est à ta porte !
Prends garde, ne te laisse pas déshonorer !
Après tant de concessions et de mensonges
il nous serait si douloureux de reculer !
Prends donc les armes et réduits ce prince maudit. »
Le roi, sceptre en main et plume à l’oreille, comme un boucher,
tuait les mouches et riait, riait, riait.

« Ah bon roi ! Qu’il est doux ce rire moqueur.
Il est tant de droits que nous te devons, tant de lois
auxquelles nous croyons comme à des versets divins,
qu’en te perdant toi nous perdrions notre foi.
Quelle souffrance ce serait, de devoir être honnêtes !
Nous irons du coté où le fléau, narquois
augure, s’incline, et où va ton royal pas. »
Sa majesté, flattée, encouragée par ce pompeux discours
fit appeler le bourreau et lui ordonna de préparer la tour.

« Voici donc que nous les tenons, la gloire est là :
nos droit sont sauvés par un roi victorieux ;
le poète vainqueur, le peuple nous fait rois.
L’issue nous est indifférente car au milieu
du bruit et de la fureur nous gagnerons
quoi qu’il en soit. Bénie soit-elle, l’oeuvre de Dieu
qui fait les morts, les gloires... et les bénéfices ! »
Or donc, tous se frottaient les mains : le roi pensant à sa proie,
les Mécènes d’avoir déjà gagné et le poète de froid.

Ainsi, lorsque de sa courbe divinement
belle, atteignit son zénith le divin soleil,
en horde accourut la plèbe aux portes
du palais, pour déguster de l’oreille
le chant mielleux et envoûtant du monarque,
et l’aubade guerrière à nulle pareille
du bon poète affamé de justice!
Wilde le sait, la haine n’a jamais donné raison aux Pétrarques ;
l’histoire, cependant, n’est pas toujours du coté du monarque.


II
« Peuple de l’eau, âme de tous les océans !
Combien de temps faudra-t-il donc attendre
pour te voir te lever contre ce tyran,
et réduire sa sale gloire à la cendre ?
Ne vois-tu pas qu’il s’agite, qu’il fait du vent
pour troubler nos yeux, à sa cause nous rendre,
alors que c’est une mort certaine, assurée,
que partout dans le monde, avide, il sème.
Celui qui veut la guerre, ce privilégié,
devra la subir d’abord ; celui qui aime
la souffrance, qu’il se torde le premier
aux douleurs du pilier de l’anathème ;
que celui qui tue, sur le champ d’abord soit tué.
Mais des cœurs meurtris il se fait un diadème,
comme Diane est embellie des corps massacrés;
comme la terre boit le sang, ses yeux blêmes
observent, frénétiques, brûler le brasier.
Peuple : n’abandonne pas ce que tu aimes,
ne laisse pas impuni cet assassin d’enfants,
et du Phénix charognard, souffle les cendres !
Car il se fait petit, se rabaisse à ton rang,
mais pendant que d’une main il est tendre
de l’autre il fait couler – ô peuple !- ton sang !
Peuple : tue-le ou cesse de m’entendre ! »


III
« Frères des océans, citoyens, amis !
De quoi manquez-vous ? Est-ce que vous êtes
Si mal traités, pour accepter qu’aujourd’hui
Menace mon règne le poisson-poète !
N’avez-vous pas travail, paix et douces nuits ?
Le travail est dur, mais la récompense est honnête.
La guerre, sereine fossoyeuse, vous atterre ?
Mais c’est l’honneur de votre fière existence
qu’elle défend aujourd’hui par toute la terre
et elle est plus vraie que toutes les stances :
elle est un hymne à la mémoire de vos pères
elle est l’orgueil parce qu’elle est la résistance,
elle est fière, grande, belle et nécessaire !
Amis, un beau mot n’est que feinte élégance,
Un soupir, une larme, un songe, une prière.
C’est inutile, vain, c’est l’outrecuidance,
de discréditer l’entreprise guerrière
qui cache en son noble sein l’espérance !
Allons ! Citoyens, décidons dès aujourd’hui.
Le combat est ardu mais la coupe est prête,
nous vaincrons ensemble, heureux, fiers et unis.
Si c’est un mauvais rêve que vous faites,
Laissez-moi bannir de vos songes maudits
La mauvaise graine, le trouble fête ! »


Épilogue :

C’est aux peuples qu’appartient la décision
de n’être dans l’histoire qu’un hasard du temps
ou de prendre le risque de ses convictions ;
craindre le roi ou affronter le Léviathan !
Après quoi, il n’y a plus rien à dire :
dans l’air, sur terre ou au plus ténébreux des eaux
ne seront à jamais chantées que deux lires :
l’une chante pour l’amour, l’autre chante faux !

miércoles, 19 de noviembre de 2008

Enfin...


I
Enfin, les hommes de la Terre au banquet du ciel,
depuis longtemps conviés à venir goûter,
sous l’astre fier, les parfums de l’aube et du miel,
vinrent peu à peu, l’œil serein, brillant, s’attabler.

Souriants, majestueux, surpris, le verbe fébrile,
ayant au cœur un volcan et l’esprit enflammé,
et Babel vaincue, ils burent l’éternité,
parlant une langue qui en était mille.

Heureux les humbles, ils auront la parole en premier.
Dans les lueurs pâles du jour nouveau, bénie
sois-tu, vérité !, qui ne fus pas marchandée.

Bénie sois-tu nouvelle société de génie,
qui abrite en ton sein frais la grandeur rêvée,
la vrai force humaine jusqu’alors ignorée.


II
Le fruit des pensées s’appelle la parole ;
et le fruit des paroles doit être l’action.
Il n’est d’être pensant que l’on ne console
en lui agitant au nez Progrès, Libération !

Tout être ayant, occulte ou illuminé,
l’idéal de son propre temps sur la terre
se trouve à la fois enthousiaste et horrifié :
l’avenir est un sens où le cœur désespère ;

La destinée, qu’un bref instant j’entrevis
se tait, se terre et désire que je l’oublie ;
mais ses traits comme le sein d’une mère

en moi sont à jamais gravés, enfouis.
Pour toujours il y aura en mon cœur deux misères :
la vie possible et l’impossible de la vie !


III
Or, étant à ce système insondable aliéné,
je ne puis jamais dire qui du passionnel
ou de l’idéal est vénérable et aimé
par Dieu ; qui suis-je et qui est l’universel ?

Amers ces songes de vie, ces poèmes
que simultanément créent et oublient
le cœur et l’esprit, ces pages mentales
qui jamais ne seront écrites.
Amers ces cris impétueux de l’âme
qui enflamment les sangs et mêlent
au désir du bien, la patience des sages,
la force des bêtes, mais qui pourtant
meurent dans l’étouffement d’un sanglot.

Amères paroles et amers visages
qui dans une tache d’ombre se révèlent ;
amers visages, visages d’ombre
que le vieux cœur encore et encore appelle.

Au pied du réverbère, la lumière trempée
suinte doucement sur le pavé.
C’est le sourire d’une âme en peine,
l’espoir d’une humanité décimée.
Et sur elle, les pas des hommes inconscients
dessinent d’étranges formes luisantes
au fil des minutes changeantes
au fil des siècles parfaitement égales.
2005

martes, 18 de noviembre de 2008

Poema de sordo oído

No entiendo lo que me dices,
tus palabras cual viento
atrapado en los árboles
a mi corazón no llegan.

El sonido de tu pensamiento
inunde el mundo entero
pero en mi jardín secreto
no vibra de mi corazón el oído.

La nota cristalina de tu etérea lira
muere envenenada en la melodía
del laúd triste de las estrellas
y se va con la partitura del universo.

¡No te oigo! ¡Más alto! Por favor,
¡Grita! me costaría tanto dolor
verte pasar esbelta y feliz
y no oír lo que dibuja tu boca.

Paroles

Parole. Mot divin, artiste, historique.
Parole. Esprit de l'homme aux hommes avoués, à l'univers déclaré.
Parole. Profonde ou légère, parole qui console, parole qui accuse.
Parole. Désignation du monde, interprétation de la nature.
Parole de parole, parole d'idée.
Parole de pensée. Parole d'acte et acte de parole.

Les mots ne sont que des mots, on leur préfère les pensées.
Les mots ne sont que des mots, on leur préfère les idées.
Les mots ne sont que des mots, on leur préfère les silences.
Les mots ne sont que des mots, mais sans eux pourtant, l'homme ne saurait dire "nous".

lunes, 17 de noviembre de 2008

Moments...


C’est un drôle de pays que novembre.
Il est gris et souvent il est froid.

C’est un drôle de pays sans souvenir,
une contrée de jaunes criards
et d’oranges pastels.

Et puis, en novembre, tout gèle :
l’amour, l’espoir, l’avenir.
Tout gèle et se cache sous les vestes
et les gros pantalons de velours côtelés.

En novembre les batailles semblent être gagnées.
Les amours conquis ; et l’avenir est un présent fiévreux.
Novembre est un pays sans hier et sans demain,
sans ciel, sans terre, sans rire et sans vin.

En novembre il n’y a pas non plus
de tristesse, de doute ni d’amertume.
Novembre est ainsi : fier, discret, absolu.

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La particularité de la passion, de quelque matière qu’elle soit, quelque objet qu’elle contemple, est de devoir mourir.
Pourtant, et c’est là toute sa force, l’homme est incapable de voir en elle de limite. Lorsqu’elle le prend, il semble toujours que c’est pour toujours. Des limites, elle en a cependant, la première étant le sentiment. Le sentiment est une frontière de la passion ; sa mort en vérité. Le sentiment est ce qui borne la passion, ce qui la démystifie. Malgré cela, il ne faudrait pas croire qu’une passion sans sentiment est une passion sans borne, infinie. La passion plonge lugubrement vers l’absolu, elle bascule inéluctablement dans l’intangible, dans l’idée, qui la rend vulgaire, la freine et pour finir la détruit.

Passionne-toi aujourd’hui à perdre le sens,
évanouis-toi dans l’évanouissement des mots.
Sentir plutôt que croire,
enrager plutôt qu’aimer.
Dans les pétales d’une rose rouge
dans le parfum de la beauté,
dans le souvenir d’un parfum,
dans le vent qui emporte le souvenir,
vagabonde au cœur de tes sens,
garde tes sens loin du cœur.

Donne à ta peau les nourritures du monde
et prive ton esprit de sa réalité.

Observe dans le miroir de tes propres vertus
la vertu lente et noire qui meurt,
sauve qui tu es en étant ce que tu sens.
Il n’est de vertu qui meure,
il est des phénix qui s’envolent les pieds grisonnants...

Toute mort est un avenir ;
sois patient, aime, n’aies point de doute
car il viendra ton temps
d’être l’histoire de demain.

Le temps n’existe pas. L’homme ne vit qu’aujourd’hui amer d’hier et affamé de demain.


Novembre 2008