martes, 20 de enero de 2009

Être et devenir

I
Le ciel bleu, comme un tonnerre, éclate
Et la pluie de lumière écarlate
Accable l’esprit ;
Trop de pureté, trop d’évidence,
Font toujours naître au creux de l’enfance
Le doute et l’ennui.

Quand le sage l’œil mi-clos, le sourcil froncé,
Et la barbe vers quelque horizon pointée,
Mesure en silence
Les pas de l’humanité jusque ce jour
Et regarde ce qu’il reste de séjour,
Il efface la stance.

Qu’avez-vous fait de mon avenir ?, il demande.
Au nom de quel passé en faites-vous une offrande ?
Faut-il donc sur l’autel
Sacrifier les erreurs, les doutes, les tristesses ?
Faut-il pour plaire aux muses embrasser les déesses
Et désirer le ciel ?

Je suis ma propre substance, ma matière,
Je suis existence, puissante, volontaire ;
J’existe en acte
Et dois trouver, fouillant la fange avec les mains
La raison du désordre, le hasard malsain
Qui a scellé ce pacte.

II
Droit dans les yeux il me regarde à présent,
Et son spectre, brillant dans la nuit, béant,
Allume les débris,
L’effondrement d’une terre de bonheur,
Comme Néron donne à Rome la lueur
Des flammes impies.

En moi il est un navire aux prises avec soi-même
Qui, sans prêtre, sans héraut et sans Carême
Ne peut se diriger,
Et comme dans l’œil de la tempête le marin
Je ne sais du fanal ou du phare lointain
A quel rayon me fier.

La fatalité de l’homme est la décision,
Ne pas en prendre n’est pas une évasion :
Le choix est lendemain ;
La vraie souffrance est de nier l’existence,
Et puisque l’être est matière et substance
Je serai donc, mais vain.

jueves, 15 de enero de 2009

Cauchemar...

Fuite d’ombre
Mirage d’horreur
Vision sombre
Nuage de stupeur
Menace les hommes
Nuage gris
Avec tes éclairs infinis
Écrasant la somme de l’univers.
Et contraints à la mort de l’histoire
Et à la mort de Dieu
Ne restera au cœur de la révolte
Que les chiens baveux qui assassinent
Et qui pour avoir survécu, mourront à jamais.

La mon(s)tre

Il y a quelques jours je me suis attaché une montre au poignet. C’est une montre un peu grosse, assez épaisse avec un bracelet en cuir et de jolies aiguilles ; la trotteuse a une petite pointe rouge qui semble menacer les secondes, on dirait qu’elle ne va pas s’arrêter tant elle a l’air déterminée. Je préfère que les montres aient des aiguilles. Les cadrans digitaux me font l’effet d’une simplification à outrance de ce que l’on utilisait il y a encore assez peu pour mesurer le temps, et que l’on appelait le cadran solaire. J’ai toujours l’impression quand j’en vois un – on en voit beaucoup dans les lieux publics – de lire l’heure comme on lirait Balzac en orthographe texto. Je ne sais pas pourquoi les cadrans digitaux me semblent des horloges pour analphabètes. Bref. Pour revenir à ma montre, il faut également préciser que comme beaucoup de montre elle a, à coté du trois, ou de et quart comme on voudra, un petit numéro qui indique le jour du mois. Ce qui fait de la montre un double repère : l’un immédiat et terrorisant, l’autre à court terme et angoissant. Alors en inclinant légèrement la tête vers le bas en direction de son poignet et en tournant légèrement ce dernier vers soi, le choc qui se produit ne peut être à l’origine que de deux réactions : on peut être pris de vertige devant ce spectacle angoissant d’une ride se reflétant dans le temps ; ou on peut décider de poursuivre l’éternité. L’immense majorité de nos contemporains semblent se contenter de voir le temps enfermé dans une petite boîte mouvant les aiguilles en permanence ; ils ne voient pas que les prisonniers ce sont eux. Mais enfin, qui peut reprocher quoi que ce soit à son siècle ? « Connaître l’ennemi » ne fut-il pas le premier conseil de César ? Observons et évitons la mêlée. Allons, montre au poignet, vers le néant et mettons un terme au débat : le temps n’existe pas !

Cette montre, je l’ai attachée à mon corps il y a environ deux semaines. Je m’y habitue peu à peu. Il faut reconnaître qu’en plus d’être en soi un objet assez lourd, un appendice très indiscret, c’est la première fois que j’en porte une. Oui, je sais c’est tard pour une première, mais le fait est que vu que je n’en avais pas je n’ai pas pu me rendre compte que j’étais à la bourre. Bref, cela ne simplifie pas la tâche mais je reconnais que l’expérience est intéressante. En tous cas, ce qui est curieux c’est que je commence déjà à être atteint par le syndrome du poignet-pivotant-petit-coup-d’œil-furtif, dont l’effet, d’autre part, semble croissant. Précisons en outre que ce syndrome a des variantes beaucoup moins réjouissantes comme celle appelée : levé-de-bras-élégant-pour-faire-descendre-la-manche-de-la-chemise-et-faire-apparaître-la-belle-montre dont le seul nom, plus rebutant qu’effrayant, rend compte du degré d’atrophie psychologique où se trouve l’homme, qui ne sait même plus comment appeler ses maux.

Hors ces chimériques considérations, à quoi sert avoir une montre ? Je me suis rendu compte que cela sert à beaucoup de choses. En fait, ça sert tous les jours aux mêmes choses mais cela n’enlève évidement rien à sa commodité. Par exemple, ça sert à arriver à l’heure au boulot. Le matin je me douche et tout de suite après avoir enfilé un caleçon et un jean, je prends ma montre, regarde l’heure qui généralement indique sept heures moins dix – moins cinq, puis je la plaque contre mon poignet gauche et, l’appuyant contre mon ventre, j’attrape le bracelet de ma main droite, et l’attache, comme on boutonne une chemise ou comme on fait ses lacets. Alors, c’est l’heure du petit déjeuner. Le petit déjeuner, c’est calculé, dure, préparation et engloutissement compris, environ quinze minutes. La montre permet de vérifier que l’habitude est solide. Je ne suis pas encore tout à fait convaincu de l’utilité d’un superviseur d’automatismes, mais ça rassure : on sait qu’il est sept heures dix, mais en regardant la montre on se dit que l’on sait effectivement bien les choses, que l’on contrôle, et on se fait presque un petit clin d’œil à soi-même : « Tu vois, il est sept heures dix, je te l’avais dit. »

Ensuite, la montre sert à un fait plus étrange : elle semble avoir un rôle dans notre organisme. Étant une greffe, elle devient un véritable organe et assume donc une fonction particulière dans l’ordre du corps. « Dix heures et quart ! (exclamation) c’est pour ça que j’ai envie d’un café depuis tout à l’heure ! » Ou à d’autres moments : « treize heures trente, et ouais (d’un air entendu), j’ai un creux ! » De quoi on peut déduire que la montre a un rôle dans nos besoins physiques au cours de la journée. Certes, elle ne les fait pas naître mais elle est comme un voyant, une alarme, qui régule la fréquence des repas. D’ailleurs, on dira souvent : « une heure moins le quart… (pensif) c’est encore un peu tôt quand même », alors on attendra pour aller manger que la montre en donne l’ordre. A ce degré-là de montruosité ou de montrisme, je ne suis pas encore arrivé. On verra avec le temps, serais-je tenté de dire.

Le cœur et la raison

I
Au mariage de mon cœur et de la raison
Sont venus les poètes et les alchimistes,
Toutes les planètes du cosmos, les saisons,
La science, les mots : les heureux et les tristes
Les petites victoires et les grandes erreurs.
S’ils sont assemblés, c’est que le motif est bon :
Aujourd’hui alors que fuient le doute et la peur
Se marient mon beau cœur et sa douce raison.

II
Les peurs, les angoisses et toutes les méfiances
Aux violences du choix offrent une danse,
Comme aux décisions délicieuses de l’esprit
Donnent un baiser la peau, le sang et l’envie.

Cependant la raison n’est pas somnolente,
Elle trône dans sa lucidité puissante ;
Et le cœur n’est pas endormi, il exulte
Des émotions qu’en lui toujours ses sens sculptent.

Vivre au milieu des autres hommes en homme bon
Est l’acte toujours recommencé de la raison ;
Aimer pour soi et se laisser aimer les autres
Est un fait du cœur qui se passe d’apôtre.

Et ensemble : l’acte d’amour de la pensée
Et le besoin du corps ; le fol espoir d’aimer,
Le courage des idées, courent au bonheur
Main dans la main, unis en une lueur.

L’intelligence et l’émotion ont enterré
La hache de guerre ; et le raz-de-marée
Du cœur, que la raison contient, se mesure
A elle, lui donnant force et non usure.

A la pensée s’offre le cœur en pitance,
Comme à lui s’offre le monde et ses jouissances ;
Et comme le cœur réagit par l’émotion
L’esprit jouit lui aussi, bien que par la raison.

martes, 6 de enero de 2009

Prose maritime

Ô merveilleux pays de mon enfance. Garrigue, sel, vent et calanques. Dans tous mes voyages à Marseille, je fais toujours une escale à Calelongue, dont le nom est dû à sa forme allongée de petite crique, dernier port de Marseille, à l’extrême sud de la ville.
J’y reviens parce qu’à Calelongue vit la paix. Il y a toujours un peu d’air et toujours ici la mer frisonne. L’eau semble aimer cette double caresse du vent léger et du bruyant soleil, même en hiver. Ici, sous nos pieds, naît la méditerranée ; puis, à quelques centaines de mètres, elle emprisonne la Jarre, le Jarron, Riou, Plane et le Grand Congloué avant de s’en aller, loin, prenant tous les départ vers tous les horizons. L’île Maïre avec ses pharillons semblent l’accompagner poussant quelques pas vers le lointain, comme s’ils disaient : « Adieu, à bientôt. » Et puis, sous la pluie de rayons scintillants, la mer s’enfuit, toujours vers l’avant, vers cette ligne inimaginable qui pourtant ferme notre vue ; et l’on regarde fixement, dans le chemin brillant que dessine sur elle le doux soleil de Provence, sa jolie main qui fait un signe.
En haut, sur la butte qui surplombe la calanque, l’ancien sémaphore trône. Comme les cabanons du coin, il n’existe que pour de vieilles barbes, de vieux marins, des amoureux de la mer, des amoureux de Marseille. Derrière le phare s’étend ensuite la garrigue qui court le long de la côte et qui, ne pouvant suivre la mer vers l’avant la rappelle de la rive avec son sourire de renard des calanques. La garrigue n’est pas jalouse de la mer, sublime voyageuse ; au contraire, elle lui confie tous ses secrets de végétation rebelle et la laisse partir parce qu’elle sait qu’elle reviendra et lui racontera alors ses récits de mer qui, comme les récits de marins, font des bruits de craquement de mât et ont un goût de sel et d’aventure. La mer ne dit jamais adieu à la garrigue ; je ne dirai jamais adieu à Marseille.
Et cette nature vivante qui parle et qui rit, pleine de fouines, de couleuvres, d’hirondelles des rochers et plantée d’orchidées et de crithmes maritimes, tend sa face au ciel et hurle, dans son recoin de méditerranée, la violence de son sang et son teint hâlé.
L’avenir n’a pas de consistance là où les choses semblent ne pas changer. C’est presque plonger dans le mythe que d’admirer, lorsqu’on est marseillais, les pierres de nos ancêtres, d’imaginer les bateaux phéniciens et de sentir les courants d’air colliniers. Et puis, à quoi bon l’avenir ? Ici les choses sont pleines, du simple fait d’être. Ici, il n’y a rien à chercher. Fermer les yeux, sentir, toucher, pleurer peut-être, et la vie devient cette mer sans marée, ce ciel calme et tempéré, ce destin déjà fixé des choses sublimes que transfigurent les battements du cœur de la terre. Point de désir, point d’abîme.

Décembre 2008