jueves, 15 de enero de 2009

La mon(s)tre

Il y a quelques jours je me suis attaché une montre au poignet. C’est une montre un peu grosse, assez épaisse avec un bracelet en cuir et de jolies aiguilles ; la trotteuse a une petite pointe rouge qui semble menacer les secondes, on dirait qu’elle ne va pas s’arrêter tant elle a l’air déterminée. Je préfère que les montres aient des aiguilles. Les cadrans digitaux me font l’effet d’une simplification à outrance de ce que l’on utilisait il y a encore assez peu pour mesurer le temps, et que l’on appelait le cadran solaire. J’ai toujours l’impression quand j’en vois un – on en voit beaucoup dans les lieux publics – de lire l’heure comme on lirait Balzac en orthographe texto. Je ne sais pas pourquoi les cadrans digitaux me semblent des horloges pour analphabètes. Bref. Pour revenir à ma montre, il faut également préciser que comme beaucoup de montre elle a, à coté du trois, ou de et quart comme on voudra, un petit numéro qui indique le jour du mois. Ce qui fait de la montre un double repère : l’un immédiat et terrorisant, l’autre à court terme et angoissant. Alors en inclinant légèrement la tête vers le bas en direction de son poignet et en tournant légèrement ce dernier vers soi, le choc qui se produit ne peut être à l’origine que de deux réactions : on peut être pris de vertige devant ce spectacle angoissant d’une ride se reflétant dans le temps ; ou on peut décider de poursuivre l’éternité. L’immense majorité de nos contemporains semblent se contenter de voir le temps enfermé dans une petite boîte mouvant les aiguilles en permanence ; ils ne voient pas que les prisonniers ce sont eux. Mais enfin, qui peut reprocher quoi que ce soit à son siècle ? « Connaître l’ennemi » ne fut-il pas le premier conseil de César ? Observons et évitons la mêlée. Allons, montre au poignet, vers le néant et mettons un terme au débat : le temps n’existe pas !

Cette montre, je l’ai attachée à mon corps il y a environ deux semaines. Je m’y habitue peu à peu. Il faut reconnaître qu’en plus d’être en soi un objet assez lourd, un appendice très indiscret, c’est la première fois que j’en porte une. Oui, je sais c’est tard pour une première, mais le fait est que vu que je n’en avais pas je n’ai pas pu me rendre compte que j’étais à la bourre. Bref, cela ne simplifie pas la tâche mais je reconnais que l’expérience est intéressante. En tous cas, ce qui est curieux c’est que je commence déjà à être atteint par le syndrome du poignet-pivotant-petit-coup-d’œil-furtif, dont l’effet, d’autre part, semble croissant. Précisons en outre que ce syndrome a des variantes beaucoup moins réjouissantes comme celle appelée : levé-de-bras-élégant-pour-faire-descendre-la-manche-de-la-chemise-et-faire-apparaître-la-belle-montre dont le seul nom, plus rebutant qu’effrayant, rend compte du degré d’atrophie psychologique où se trouve l’homme, qui ne sait même plus comment appeler ses maux.

Hors ces chimériques considérations, à quoi sert avoir une montre ? Je me suis rendu compte que cela sert à beaucoup de choses. En fait, ça sert tous les jours aux mêmes choses mais cela n’enlève évidement rien à sa commodité. Par exemple, ça sert à arriver à l’heure au boulot. Le matin je me douche et tout de suite après avoir enfilé un caleçon et un jean, je prends ma montre, regarde l’heure qui généralement indique sept heures moins dix – moins cinq, puis je la plaque contre mon poignet gauche et, l’appuyant contre mon ventre, j’attrape le bracelet de ma main droite, et l’attache, comme on boutonne une chemise ou comme on fait ses lacets. Alors, c’est l’heure du petit déjeuner. Le petit déjeuner, c’est calculé, dure, préparation et engloutissement compris, environ quinze minutes. La montre permet de vérifier que l’habitude est solide. Je ne suis pas encore tout à fait convaincu de l’utilité d’un superviseur d’automatismes, mais ça rassure : on sait qu’il est sept heures dix, mais en regardant la montre on se dit que l’on sait effectivement bien les choses, que l’on contrôle, et on se fait presque un petit clin d’œil à soi-même : « Tu vois, il est sept heures dix, je te l’avais dit. »

Ensuite, la montre sert à un fait plus étrange : elle semble avoir un rôle dans notre organisme. Étant une greffe, elle devient un véritable organe et assume donc une fonction particulière dans l’ordre du corps. « Dix heures et quart ! (exclamation) c’est pour ça que j’ai envie d’un café depuis tout à l’heure ! » Ou à d’autres moments : « treize heures trente, et ouais (d’un air entendu), j’ai un creux ! » De quoi on peut déduire que la montre a un rôle dans nos besoins physiques au cours de la journée. Certes, elle ne les fait pas naître mais elle est comme un voyant, une alarme, qui régule la fréquence des repas. D’ailleurs, on dira souvent : « une heure moins le quart… (pensif) c’est encore un peu tôt quand même », alors on attendra pour aller manger que la montre en donne l’ordre. A ce degré-là de montruosité ou de montrisme, je ne suis pas encore arrivé. On verra avec le temps, serais-je tenté de dire.

1 comentario:

Anónimo dijo...

T'as trop raison!!!
c'est bien pour ça que je persiste à ne pas m'en acheter une.

Bisous frangin