domingo, 31 de agosto de 2008

Celui qui a échoué

Et les jours défilent sans bruit,
Semblables à un train de nuit,
Etranges,
Comme une pluie sans nuage
Et des rires d’enfants sages;
Louanges
A un coeur qui s’est éteint,
A une âme que plus aucun Dieu n’étreint,
Et que jamais plus ne dérange
Le flux amoureux de l’âme passionnée,
Ni la comédie humaine ni l’envie rassasiée...

Là, dans son refuge aux sombres pensées,
le poète crée ce à quoi il ne peut songer,
et l’on écrira plus tard
la magnificence sans hasard
du génie qui a fait le poème,
quand il a conté ses vers sans même y penser.

Mais il n’est plus temps pour sauver le navire,
et les voiles déjà pleines de la bruyante tempête
ne savent plus de l’avant ou de l’arrière
lequel est le mauvais choix, le geste pire.
Les lanternes des ports, parsemées dans le lointain,
qui avaient jusqu’alors guidé le sillon débile,
se firent floues et moururent dans la paisible,
la sereine obscurité, arme si utile aux assassins.
Eh quoi ! le craquement sinistre de la coque vous effraie ?
Sachez pourtant que ce n’est que justice :
car quand les marins sont des idiots qui n’obéissent
qu’à de fausses croyances et des préjugés malsains,
ils sont, monsieur, des naufragés avant d’avoir embarqué.


Là où l’homme ne fit rien, il n’est rien à dire.
-Mais là où il caressa une fleur,
tous les discours du monde s’émeuvent et se tarissent.-

Là où l’homme refuse de penser, il n’est rien à écrire.
-Mais la plume universelle est bien faible,
à l’endroit où il déposa un songe.-

Là où l’homme refuse et abandonne, il n’est de grandeur à lui décerner.
-Mais nul ne peut mieux que l’éternité
baiser les pieds de celui qui a échoué.-

05/12/06

viernes, 8 de agosto de 2008

Pourquoi So What?


Pourquoi So What?, aucun passionné de jazz ne posera évidement la question. Pour les autres, référez-vous à l’album de Miles Davis intitulé Kind of blue. So What, c’est l’énergie et la souplesse, c’est le swing et le silence. So What est une chanson que l’on murmure à l’oreille de la femme qu’on aime et que l’on improvise au hasard des rues. So What est une maladie qui vous prend à n’importe quel moment et ne vous lâche alors plus de tout le jour. So What, c’est aussi l’excitation de la nuit : c’est le brillant d’une cymbale, le cri d’une trompette et une longue danse endiablée pleine d’étreinte de joie et de tendresse. So What c’est la surprise et c’est l’espoir ; c’est une ombre qui glisse sur les miroirs, c’est une scène léchée par des clairs-obscurs lancinant qui fascinent et qui effraient.
So What c’est l’accord parfait entre le sentiment mélodique et la nécessité physique du rythme.
So What c’est le génie désinvolte de Miles.
So What, enfin, est une grande question.
Metaphysic Miles ?

Être et paraître

Il y a quelques jours j’ai lu un article concernant la grande réussite plastique d’un jeune équatorien. L’immigration latino-américaine en Espagne est un thème bien trop complexe pour que nous puissions prétendre ici y porter un jugement. Nous nous contenterons donc de remarquer cet événement comme un fait significatif démontrant non pas un mal-être mais l’incroyable acceptation d’un mal pernicieux qui sévit dans nos sociétés. Le fait est très simple. Il s’agit d’un jeune homme qui décide de changer d’apparence, ou plus précisément de modifier certains traits de sa physionomie, afin de répondre aux canons de beauté occidentale. Si l’on s’en tient à ce simple énoncé, cela n’est en rien surprenant dans une société où l’apparence vaut plus que l’être véritable, et où par conséquent la science de la transformation est reine. Les canons de la beauté, en occident, sont devenus un des piliers de la société. Il faut à tout moment et en tout lieu répondre aux critères physiques d’une beauté dont on pourrait certes discuter la définition, comme les manifestations d’ailleurs, mais qui en fin de compte n’est ni plus ni moins ce que la société a toujours fait : imposer les critères esthétiques de son temps.
Néanmoins la même question revient inlassablement et le débat entre esthétique et éthique ne se tarit point. Afin de voir ce qu’il y a vraiment derrière ce désir de transformation, il nous faut donc découvrir le but de la démarche qui mène à la chirurgie esthétique. Car on ne va pas sans objectif se faire opérer, et des objectifs il y en a beaucoup. Le premier sans nul doute fut celui de réparer certains dommages que la vie nous inflige dès la naissance ou au cours de la vie. Se faire opérer pour gommer les malformations d’un bec de lièvre peut être compréhensible car il s’agit d’une esthétique somme toute banale et puisque la science en offre la possibilité on comprend sans trop de difficulté que l’on veuille en profiter. Encore que la nécessité de faire disparaître un trait de sa physionomie afin d’avoir un meilleur paraître pose encore et toujours la question de la nécessité d’un paraître en accord avec le beau de l’époque. Mais enfin dans ce cas la question reste moindre dans ses conséquences comme dans ses causes[1]. Par la suite la chirurgie gagna l’apparence féminine et elle est depuis devenue la chirurgie la plus industrielle. Poitrine, lèvres, fesses, le lien étroit entre esthétique et sexualité est notable mais il n’est pas central. Sur la coquetterie des femmes La Bruyère a suffisamment écrit. Il n’est là rien de nouveau, seules les manifestations de ce désir de plaire ainsi que ses solutions ont changé, et encore bien peu ; leur changement est relatif aux progrès de la science. Ici encore la question éthique ne peut manquer de se poser mais elle se pose à nouveau dans des termes vieux de plusieurs siècles, il n’est donc là aucune particularité de notre époque. La société rejette ce qu’elle considère comme non répondant à ses critères de beauté. Ce qui pousse un individu au changement d’apparence est un mal-être que la société dans laquelle il vit lui fait ressentir. Bien-sûr, c’est comme tout, du mal-être exceptionnel qui amène à une décision exceptionnelle on court toujours le risque de franchir le pas qui mène de l’exception à la tradition. C’est ainsi qu’aujourd’hui un grand nombre d’opérations est dû plus à un effet de mode qu’à un réel rejet de la société. D’autre part les grandes maladies de ce siècle tels les déséquilibres mentaux, les instabilités émotives et autres participent aussi de cette vague de désir de changement. Le paraître et l’image possédant une valeur prépondérante dans la société occidentale actuelle, il semble logique que dans le miroir de la société on se trouve à soi-même quelques imperfections. Ici la société n’agit qu’indirectement comme détonateur de la chirurgie esthétique. Elle est un idéal dans lequel on se retrouve ou pas. Mais si la décision d’améliorer ce que la nature nous a donné nous appartient, sans idéal, il n’y aurait pas non plus de nécessité de tendre vers l'amélioration. Quoi qu’il en soit, si la chirurgie est aujourd’hui devenue un remède, c’est bien parce qu’on a voulu faire de l’apparence de l’homme un signe de bonne santé ou de maladie. La bonne santé, c’est la beauté ; la disgrâce est un cancer.

Malgré tout cela, le cas de ce jeune homme se soustrait à toutes les observations précédentes. Pourquoi ? Parce que la question ici n’est pas simplement esthétique, elle est aussi raciale. Voudra-t-on nous faire croire que l’occidental est tellement beau que toutes les autres races veulent lui ressembler ? Veut-on nous faire penser que ce jeune homme est allé se faire changer le nez pour mieux ressembler à ces hommes et ces femmes –qui n’ont d’ailleurs plus de l’homme et de la femme que la composition physionomique globale- que l’on voit à la télé ? Ce jeune a voulu, et c’est lui qui le dit, effacer ses traits «incas.» Traduction : il a voulu ne plus paraître ce qu’il est en vérité. L’article, évidement, ne dit pas les causes de cette décision de la part du jeune. En revanche il insiste sur le fait que la décision vint de lui et sur le succès de l’opération. Interrogeons-nous tout de même sur les raisons car nous avons l’intime conviction qu’elles dépassent, et de loin, la décision que l’on veut consciente, mais qui n’est autre que conséquente, d’un jeune homme évidement victime de la société où il se trouve.
La supériorité du monde occidental sur le reste des civilisations actuelles n’est pas à démontrer. Sa dictature politico-économique non plus. Mais c’est ici la dimension sociale de cette hégémonie qu’il faut dénoncer. Lorsqu’un homme se sent supérieur aux autres, il est souvent intolérant, raciste et il peut lui faire tout le mal que peut faire un homme à un autre, il peut le tuer. Lorsqu’une nation se sent supérieure aux autres, possédant les mêmes caractéristiques que l’individu qui la compose, elle en a les mêmes pouvoirs bien qu’elle les exercera à une échelle supérieure. Que les camps de concentration en soit un des témoins historiques. Le fait est qu’aujourd’hui les mêmes sentiments de supériorité régissent l’ordre mondial. La différence est que cette supériorité est pernicieuse. En fin de compte jusqu’à il y a soixante ans, on haïssait d’abord, ensuite on entrait en guerre et puis on reconstituait sa gloire sur les cendres des vaincus. La haine était clairement affichée, la sauvagerie assumée et finalement les modèles antiques étaient respectés. Le danger de l’actuelle supériorité de l’occident s’exerce par le rejet psychologique. Il ne s’agit plus de combattre mais de dénigrer, il ne s’agit plus de frapper mais d’ignorer, il ne s’agit plus d’emprisonner mais d’abandonner. Certains penseront qu’il vaut mieux une terre pleine d’hommes esseulés, abandonnés à leur propre sort, qu’une terre meurtrie où règnent la terreur et le sang. C’est une chose très grave de penser cela car qui voit la paix et la liberté dans l’homme sans dieu et sans les autres confond l’homme vrai et ce qui ne serait que l’ombre de l’homme, un animal. La dignité de l’homme d’aujourd’hui n’est ni dans la guerre ni dans l’indifférence, elle se trouve dans le désir de faire une vraie loi –nous entendons par vraie loi, une loi limitée et non amovible comme c’est le cas actuellement- afin d’obtenir une vraie justice et pouvoir ainsi prétendre à une certaine liberté.
Mais venons-en au cœur du problème. Quels sont les motifs de cette nouvelle forme de haine basée sur un rejet placide ? Ce sont toujours les mêmes : la haine des religions, la haine des races. La logique est claire, incontournable et effrayante : avant on disait « tu es juif », et on t’emmenait au camp. A présent on dit « tu as une tête de juif », change-la ! Voilà le fond de cette affaire : que ceux qui permettent, encouragent ou facilitent le changement physique au nom de la race et à cause de l’apparence sont des nazis déguisés en Yves Saint-Laurent. Tant que l’apparence n’est que l’esthétique pour l’esthétique, l’homme vit dans la superficialité mais il vit tout de même. Lorsque l’apparence devient le motif d’un clivage racial il s’attaque à la profondeur des êtres, l’apparence devient alors assassine. D’autre part, et c’est là une particularité nouvelle de cette guerre sourde et libre de sang qui règne entre les hommes, c’est qu’apparemment la société occidentale amène les non-occidentaux à une conversion de leur propre chef. Le nouveau dieu Apparence n’exige pas la conversion, il la rend évidente et inéluctable. Ce jeune homme parle fièrement et avec conviction de sa transformation. En d’autres termes, on a réussi à lui faire détester ses origines, à les renier et enfin à les faire disparaître au profit d’un beau que l’on voudrait universel et qui n’est que le reflet des pires noirceurs sectaires de l’âme. Il y a là une violence psychologique au moins aussi puissante qu’un revolver, car vivre sans dignité, c’est presque être mort. Et nous pensons qu’il n’y a guère de différence entre n’être plus et être à moitié.
Voilà pourquoi, qu’on le comprenne ou pas, nous n’avons pas pu lire cet article comme son auteur l’a écrit, un sourire aux lèvres en pensant aux bienfaits de la science, mais en songeant, indigné, que la justice et la liberté dont ce jeune croit jouir n’est autre qu’un leurre qui le mène à sacrifier sa propre identité sur l’autel de l’intolérance, contraint de la sorte à tomber en esclavage et se voir privé de dignité.


[1] Observons cependant que si on considère que la chirurgie est contre-nature on peut difficilement en amoindrir le fait. La nature en ce sens ne connaît pas de demi-mesure, elle est respectée absolument ou absolument bafouée. Mais la notion d'éthique n’étant pas l’objet premier de cet article, nous ne développerons pas cette question.

Août 2008

lunes, 4 de agosto de 2008

Aux fleurs la liberté, aux hommes la danse


Aux premiers cris du ciel, l’homme se terra.
Puis, halluciné, il ressortit bientôt
les bras ouverts, sous les lueurs sacrées.
Aux premières larmes de Dieu, il dansa.
Aux hommes l’infini, à la terre la vérité.

Et les corps, déformés, courbés, affolés,
faisant et défaisant l’espace,
se firent une voie de la peur jusqu’à l’aurore,
du monde des bruits au langage des rythmes.
Aux hommes l’œuvre d’art, à Dieu la parole.

Les femmes, les hommes et les enfants, tout de chair et de sang,
réclamaient du ciel les bienfaits et de la terre les trésors.
C’était l’air qu’ils brassaient, les gorges qui priaient,
c’était les bras allongés sur le sol et les mains qui cognaient.
C’était de la musique enfin ! Frénétique et nécessaire.

Puis le cœur s’en mêla et les chaînes se fermèrent
sur les poings, sur les pieds, sur les cous.
Les hommes calculèrent, le sang cessa de s’agiter.
La nature resta seule et les ombres continuèrent de danser.
Aux hommes la démence, aux fleurs la liberté.